Comment attirer et fidéliser les collaborateurs en période de crise ?

Écrit par Thierry Pécoud, le 17 décembre 2019

Recruter et fidéliser les talents n’a jamais été aussi complexe, de même qu’il n’a jamais été aussi simple de changer d’entreprise. En cette fin d’année 2019, des DSI de tous secteurs ont bravé la grève des transports pour venir échanger autour de cette passionnante thématique, présentée par Ludovic Milléquant, Directeur de l’offre RH chez Aneo.

Les constats

Sur les deux dernières années, l’APEC présente des chiffres record en termes de mobilité, jamais atteints depuis 1974. Plus globalement, les entreprises dites « traditionnelles » peinent à attirer et fidéliser des talents, notamment sur des profils IT. Comment peut-on l’expliquer ?

Les « millenials », cette génération née à la fin des années 80 et qui représente aujourd’hui 35% de la population active en France, ne cherche plus seulement un emploi lui assurant stabilité et perspectives de carrière : quête de sens, authenticité, ambiance de travail et équilibre entre vie personnelle et professionnelle sont également au cœur de ses préoccupations, bien que le salaire reste le facteur de rétention numéro 1. Les cas où des salariés refusent une promotion pour maintenir leur équilibre de vie reviennent d’ailleurs de plus en plus fréquemment.

D’ailleurs, nombreux sont ceux qui choisissent désormais de devenir indépendants, population qui représente aujourd’hui 3,1 millions d’actifs en France, notamment dans l’IT (90% des freelances). Une alternative qui permet à certains de travailler 4 jours par semaine ou 6 mois par an, pour s’offrir la possibilité de consacrer du temps à leurs projets personnels. Travailler 12 heures par jour n’attire plus les jeunes, et leur assure une rentabilité parfois moins importante que leur statut d’indépendant.

C’est aussi l’envie de participer à un projet plus novateur qui les pousse à postuler chez les GAFA ou les startups plutôt que dans une grosse entreprise du secteur banque / assurances : ces jeunes qui construisent leur CV ne rentrent plus dans une entreprise pour y rester, ils souhaitent avant tout développer leur personal branding. Ils attendent désormais que ce soit l’entreprise qui s’engage vis-à-vis d’eux, et non l’inverse.

Autre constat : les millenials ne sont plus attirés par le rôle de manager. De fait, comment retenir et faire grandir ces talents avec un profil d’expert ? Comment leur montrer qu’ils peuvent faire carrière sans forcément devenir managers ? Comment les rendre adaptables à la mobilité, et rapidement ? L’enjeu de développer des filières d’expertise devient prépondérant, tout comme l’est le fait d’aider les managers à développer un discours insistant sur la possibilité de se renouveler, d’apprendre, de se challenger, de changer d’équipe et de filiale, d’être valorisé : chez Google, par exemple, 40% des collaborateurs sont fléchés dans des filières d’expertise et donnent des conférences dans le monde entier pour inspirer et partager leurs connaissances en interne.

Qui plus est, les process internes ne facilitent pas toujours la donne !

Aujourd’hui, toute entreprise rêverait de voir se réaliser le conte de fée où DSI, DRH et Achats se mettraient autour de la table pour trouver une solution miracle à cette problématique. Néanmoins, les RH, par manque d’information, peinent encore aujourd’hui à prendre en compte les particularités de la DSI et à anticiper sur les projets de recrutement et sur les tendances en besoins de compétences sur les 3 à 5 années (ou a minima l’année) à venir.

Cette démarche prospective peut s’avérer d’autant plus complexe dans le cadre de projets impliquant des technologies émergentes et donc de nouveaux types de profils à recruter.

Les process de recrutement parfois très lourds (5 à 6 étapes par candidat) conduisent à perdre de bons profils en cours de route, alors que la tendance est désormais aux cycles courts.

La fidélisation des talents, quant à elle, commence dès leur intégration : comment faire en sorte que le collaborateur se sente à l’aise dans son nouvel environnement, et très vite ? Aujourd’hui, 42% des départs ont lieu dans l’année suivant l’arrivée. Pour attirer les candidats, beaucoup d’entreprises ont désormais fait le choix d’être transparents dans leur communication sur leur processus d’intégration.

Enfin, DSI et RH rencontrent une problématique majeure de désengagement sur des profils d’internes restés dans le même poste depuis 5, 10, 20 ans, voire plus.

Comment réussir à les renouveler et à préserver la génération de valeur ? Comment les développer, les sortir de leur zone de confort, les remettre au goût du jour et les remotiver ?

Le défi est ici d’ouvrir ces collaborateurs au marché, de leur montrer que leur activité peut être réalisée de manière différente, et de retravailler leur employabilité en interne en les rendant fiers de ce qu'ils ont appris.

Leur proposer un programme de formation peut être une solution vécue comme une gratification. De même, les intégrer à un programme d’expertise peut les redynamiser, les développer, accélérer leur carrière et leur apporter de la reconnaissance par leurs pairs. Bien entendu, le risque de départs en fin de programme est toujours présent, mais le gain réalisé n’en vaut-il pas la peine ?

Le cycle de l’expérience collaborateur

Pour attirer et fidéliser les collaborateurs, il convient d’améliorer leur expérience tout au long de leur évolution dans l’entreprise.

Picture3

Les pistes pour améliorer l’expérience collaborateur

[Anticiper] Strategic Workforce Planning

Anticiper l’évolution des besoins en compétences en adéquation avec le plan stratégique de l’entreprise, les besoins sur chaque profil de métier à 3 – 5 ans et l’évolution du marché. C’est un vrai sujet d’alignement entre le métier, la finance et les RH, qui permettra aux RH de mettre en place les solutions de sourcing et de développement des compétences pour garantir l’exécution du PMT. Si l’exercice semble délicat, voire relever de la boule de cristal, on se rassurera en le comparant au business plan d’une start-up, qui sera amendé au moins chaque année, voire au trimestre (Workforce Planning).

[Anticiper] Cartographier les emplois-référence

Définir les compétences requises, et leur niveau de maîtrise, pour chaque emploi-référence. Un emploi-référence servira de base à plusieurs emplois individuels qui auront un socle de compétences (80%) communes. Ce socle permettra de faciliter la mobilité de façon objective, et facilitante tant pour les collaborateurs que pour les RH et les managers. Il est donc important de les communiquer de manière transparente pour que chacun puisse les appréhender, identifier ses axes de progression, et anticiper sur ses projections de carrière.

[Fidéliser] Développer des filières d’expertise

D’une part, de moins en moins de collaborateurs – les millenials en tête – aspirent à devenir manager. D’autre part, les organisations réduisent le nombre de managers pour augmenter le span of control (nombre de collaborateurs encadrés par un manager), pour réduire les coûts de structure et légitimer le rôle des managers… fini le manager de soi-même ! Or depuis des décennies, la seule voie structurée pour progresser dans l’entreprise était la filière managériale. Il est donc temps de développer les filières d’expertise, parallèles aux filières managériales, pour faire grandir ses collaborateurs en leur donnant des perspectives de carrière. C’est notamment ce qu’a fait Société Générale au sein de la DSI. Cela permet également de capitaliser sur les connaissances des talents, les faire rayonner et ainsi contribuer à augmenter la performance de leurs pairs.

[Fidéliser] Mettre en place le Total Talent Management

Travailler avec les Achats et les RH sur la mise en place d’un sourcing complet, afin de recruter une compétence, qu’elle soit portée par un interne ou un externe, plutôt que sur le critère du contrat. Cela semble évident sur le papier, mais dans l’immense majorité des entreprises, les arbitrages sont faits sur le type de contrat en premier, notamment en France, où le contrat de travail en CDI reste la norme. La raison principale en est la pression économique que représente un CDI, alors que, ces dernières années, on voit un assouplissement du cadre légal pour mettre fin à un CDI. Il est donc possible de se rapprocher des anglo-saxons, qui ont pu développer ce modèle grâce à la simplicité de leur cadre social. Ce sera également possible dès lors que métier, RH et Achats auront aligné leurs objectifs au service triptyque qualité-coût-délai des compétences.

[Attirer] Définir et valoriser la singularité de la marque employeur

Une « bonne » marque employeur se fonde sur l’authenticité de l’entreprise : son histoire, sa culture, sa raison d’être et ses pratiques. En travaillant sur la manière dont ces valeurs et principes sont incarnés dans le quotidien des équipes, et en s’assurant qu’elles transparaissent en externe – dont des plateformes publiques telles que Glassdoor – on livre un message d’authenticité aux candidats, qui correspond à leurs attentes, et permet à l’entreprise de se distinguer de ses concurrents… autrement que par son chiffre d’affaire ou son implantation internationale. C’est aussi le meilleur moyen de rester fidèle à soi-même plutôt que chercher à être quelqu’un d’autre… car on l’oublie parfois, mais l’entreprise, en tant que personne morale, est bien une personne, et les principes qui s’appliquent à la personne physique peuvent également s’appliquer aux personnes morales !

[Attirer] Sortir du cadre pour sortir du lot

Attirer les candidats requiert un véritable marketing RH. La concurrence n’a jamais été aussi polymorphe : grands groupes rassurants, GAFA inspirants, PME innovantes, start-ups prometteuses… une fois qu’on a défini sa singularité, il faut se distinguer par l’originalité de son dialogue avec les candidats. Des modalités de recrutements innovantes telles que le Easter Egg Challenge de Google, qui consiste à craquer le code de la page d’accueil de Google pour avoir le droit de passer un entretien de recrutement, sont perçues comme innovantes et attractives par les talents, plus ou moins jeunes. Et la frugalité est souvent le meilleur moyen de trouver des solutions originales !

[Mesurer] Évaluer la performance de chaque initiative

Vous utilisez les principes du test-and-learn : c’est bien ! Vous avez opté pour la frugalité : c’est encore mieux ! Il reste maintenant à mesurer que ces initiatives portent leurs fruits et vous apportent la qualité et la quantité de candidats nécessaires. Le plus important est de définir les bons indicateurs de performances et les modalités et la fréquence de la mesure. Par exemple, pourquoi ne pas interroger vos stagiaires, apprentis et jeunes embauchés pour leur demander ce qui leur donnerait envie de postuler ou de rester chez vous ? Sans oublier que trop de KPI tuent le KPI !

La clé de ces actions réside principalement dans l’intelligence collective que les acteurs de l’entreprise sauront mobiliser, depuis la stratégie jusqu’à l’exécution.