Les vraies transformations, sont-elles à la portée des entreprises ?

Écrit par Eric Ducasse, le 08 juin 2020

Les vraies transformations sont-elles à la portée des entreprises ? La crise que nous traversons actuellement pousse sans aucun doute les entreprises à faire des choix. Pour certaines, la survie est devenue le maître-mot. Même si beaucoup d’entre elles témoignent d’une ouverture et d’une solidarité, peu communes en temps normal… Pour d’autres, c’est le moment de se préparer pour l’avenir (aussi incertain soit-il) et de se transformer.

Mais pour autant, l’entreprise est un système à part entière. Comme tout système, elle trouve naturellement son point d’équilibre ou homéostasie. Il ne suffit pas de verbaliser une injonction pour forcer le système à changer d’état cible. Il faut que les individus qui le composent prennent la mesure de l’urgence à adresser (un peu comme avec la crise actuelle). Egalement, que le management supporte le changement. Comment ? En donnant les espaces de liberté, de permission et de protection. Mais aussi en favorisant la dynamique collective au-delà de leurs silos respectifs.

Dans les entreprises, la plupart de ces transformations partent justement d’une injonction : « Soyez plus performants ! », « Soyez orientés clients ! » ou encore « soyez agiles ! ». Sans savoir ni comment, ni pourquoi, même si le pour quoi (en deux mots 😉) parait plus clair car il est très souvent formalisé dans un beau business case plein de promesses… toujours orienté majoritairement vers la performance de l'entreprise.

Bref, quand on lit tout ça, on se dit que ce n’est pas gagné… Et pourtant !

Alors finalement, comment démarrer sa transformation d'entreprise ?

Tout changement d’envergure dans l’entreprise passe par trois invariants :

  • Un commanditaire au bon niveau. Il doit être capable de supporter une dynamique globale et de donner les vraies permissions (ou mandats ?) pour ancrer durablement le changement
  • Une nécessaire prise en compte du contexte de l’entreprise, de sa culture et de son historique
  • Des attentes convergentes plutôt qu’un alignement total des individus et surtout un équilibrage de la valeur

Le commanditaire de la transformation : sans lui, rien ne se fait !hello-i-m-nik-8yCmQODY2SY-unsplash-600x402

Le commanditaire est la pierre angulaire du dispositif et l’étincelle qui permet de lancer la dynamique de transformation. Il engage sa structure et prend des risques au regard d’une promesse de valeur ajoutée pour l’ensemble du système. C'est à lui d’encourager le changement en lui donnant une portée assez large. Il doit également en offrir les espaces de libertés indispensables pour engager un changement durable.

Le commanditaire doit également être le relais des attentes de l’organisation, porter la voix des parties prenantes clientes de la transformation. De ses actions découleront le sens perçu par les équipes et la cohérence de la cible à atteindre.

La question du sens peut d’ailleurs se poser ici. Doit-on définir une vision cible et la communiquer largement ou faire d’une transformation une succession de changements incrémentaux moins brutaux mais qui se questionnent au fur et à mesure sur la valeur à atteindre ?

Dans la plupart des cas, cette vision est posée de manière globale et souvent le prisme de l’entreprise et de la productivité est le seul sens tangible que l’on perçoit (que ce soit voulu ou non) pour aller toujours plus loin dans la quête de performance. Et cela au détriment de la valeur pour le client et de la valeur pour le collaborateur.

C’est là où on comprend que le commanditaire doit être au bon niveau et être le garant de la cohérence de l’ensemble et de la valeur à atteindre.

Il ne faut pas sous-estimer le poids de la culture et de l’historique de l’entreprise  !

Focalisons-nous maintenant sur le deuxième point. Partons de l’hypothèse que nous avons notre leader éclairé qui communique pourquoi et pour quoi il fait les choses et qui est au bon niveau pour permettre à l’organisation ainsi qu'aux femmes et aux hommes qui la composent de se transformer.

Nous allons maintenant chercher à faire bouger l’ensemble. C’est là que les difficultés commencent…

Par tous les temps, l’être humain a toujours cherché avant tout la sécurité, or le changement est source d’insécurité. Dans nos entreprises modernes, cette peur du changement se traduit souvent par une peur de l’échec. Celle-ci est induite par un changement de référentiel et une perte de repères.

Pour prévenir cela, deux modèles plutôt antagonistes émergent naturellement :

  • Le modèle gestionnaire. Il s’appuie sur des process, des procédures, et des rôles. Il part du principe que le cadre de l'entreprise garantit la sécurité.
  • Le modèle anthropologique. Il la décrit comme la perception individuelle d’un être humain face à une situation et sa capacité à réagir en s’appuyant sur un ensemble de pratiques et de croyances, de manières de faire et de penser.

Quand notre volonté de ce transformer se heurte à notre système de valeur et notre expérience vécue

Lorsque nous essayons de nous aligner sur une modalité de changement, souvent, c’est là que la (notre) solution à mettre en œuvre cristallise nos croyances, habitudes, visions du monde, etc. Elles sont souvent irréconciliables, car basées sur des années et des années d’expérience. Elles ne sauraient être remises en cause car elles constituent ce qui fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui (effet Semmelweis*).

Combien de fois avez-vous entendu : « Ça fait 30 ans que j’opère ce processus comme ça, on ne peut pas faire autrement », ou encore « Si on ne respecte pas le process (ndr très lourd et bureaucratique), c’est la porte ouverte à toutes les dérives »

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La peur du changement s’apparente dans ce cas à une crainte de renoncement… Comme je dis souvent, il ne s’agit pas d’avoir raison et d’avoir la solution objectivement la plus performante. Il s'agit de mettre en œuvre une solution dont la valeur et l’adhésion à la portée la plus large.

Cherchez à tout prix l’équilibrage de la valeur dans votre transformation !

C’est là que le troisième point prend tout son sens. Je serais tenté de décaler le problème en changeant le contexte de la problématique. Pris individuellement et frontalement, nous ne pouvons pas demander à un individu qui n’en voit pas l’intérêt de changer ses pratiques. C’est encore pire, si ce changement implique un de ses pairs qui lui-même a sa propre vision du monde…

Ce que je constate dans les transformations que les entreprises mènent, c’est que cette quête d’alignement, autour d’un sens commun, est omniprésente et souvent recherchée par les consultants et coachs qui accompagnent les organisations. Mais finalement, ne faisons-nous pas collectivement fausse route ? Chercher systématiquement cet alignement dès le départ sera au mieux source de frustration. Au pire, il éclairera la mauvaise direction, en projetant notre propre idéal de consultant/coach sur le dirigeant.

Ce que j’irai chercher, ce sont les attentes convergentes sur un changement donné, qu’il concerne un projet, un produit, une équipe, un processus… Qu’attendez-vous de ce changement et quel en sera l’impact attendu (critères de succès mesurables). Il est plus facile de s’accorder localement sur les urgences (problématiques à adresser) et les principes que doit satisfaire la cible que sur la cible elle-même (ou le comment).

Quand je regarde certaines organisations que j’ai vu évoluer avec succès, je retrouve cet alignement sur les différentes parties prenantes et je me dis que chacun y a trouvé sa valeur. Or, le succès du changement repose en grande partie sur les individus et la valeur qu’ils vont en retirer eux-mêmes. Cela est aussi vrai pour les clients eux-mêmes que pour les collaborateurs (quelles que soient leurs fonctions). Mais l’entreprise elle-même n’est-elle pas cliente de son changement ? Ne doit-elle pas elle-même en tirer de la valeur ?

Comment aligner la performance & l’humain  (4)

Et bien si ! et c’est ce que j’appellerai l’équilibrage de la valeur. Si chacun y trouve sa valeur et son sens, le changement pourra s’opérer.

Et pourtant si la culture est là, c'est que le système y a trouvé son compte

Si nous regardons les entreprises et le monde qui nous entoure avec humilité, nous nous rendons compte qu’à notre petite échelle nous ne pouvons pas nous même imposer notre lecture du monde et ce que nous croyons de bon pour le client (avec toutes les bonnes intentions que nous pouvons y mettre) sans prendre en compte la culture et le contexte historique de l’entreprise. Vouloir « libérer » une entreprise « militaire » serait probablement peine perdue ? Et pourtant si cette culture est là c’est que le système y a trouvé son compte.

En tant qu’accompagnant d’organisation, nous nous devons de cultiver la capacité que l’entreprise a à apprendre de son contexte, de ses tentatives de solutions pour aller chercher sa nouvelle homéostasie sous l’impulsion de son dirigeant, sans vouloir à tout prix la projeter dans nos désirs les plus fous.

Notre rôle est avant tout de chercher ce nouvel équilibrage de la valeur entre les parties prenantes. Cela constituera le point d’ancrage d’un changement durable.

* L'effet Semmelweis ou, traduit de l'anglais, réflexe de Semmelweis est une expression métaphorique qui décrit la tendance naturelle à rejeter de nouvelles preuves ou de nouvelles connaissances parce qu'elle va à l'encontre des normes, des croyances ou des paradigmes précédemment établis (source Wikipédia)