Et si grandir c’était rester petit ?

Écrit par Margaux Borel, le 28 novembre 2019

Quand une entreprise rencontre du succès et que ses produits sont de plus en plus demandés sur le marché, on a tendance à se dire qu’il faut qu’elle produise plus, touche plus de clients, donc que sa structure et que ses équipes doivent grossir en conséquence. Et si le succès pouvait reposer sur « faire peu mais bien » plutôt que « toujours plus » ? Chez Basecamp, une entreprise IT ayant créé un outil de gestion collaborative de projet, ils ont choisi de rester « intentionnellement petit » et ce, depuis le début.

Remote, Rework, It doesn’t have to be crazy at work, les livres de Jason Fried et David Heinemeier Hansson sont des sortes de recettes de cuisine dans lesquelles les deux fondateurs de Basecamp donnent les ingrédients utilisés pour créer leur entreprise en 2004.

On peut y découvrir comment les 50 salariés qui composent l’organisation travaillent aujourd’hui ensemble depuis les quatre coins du monde, et comment ils ont choisi de moins communiquer pour mieux communiquer (vous pouvez lire notre article à ce sujet ici).

There’s nothing wrong with being small. You can do big things with a small team. - Jason Fried

On y apprend aussi une approche de la croissance un peu particulière pour une entreprise de développement logiciel, née dans les années 2000, au pays des licornes…

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En première page de Rework, on peut lire: “We’re an intentionally small company that makes software to help small companies and groups get things done the easy way.

Basecamp est donc une « petite » entreprise qui souhaite le rester. Pourquoi vouloir grandir trop vite ? Ou même grandir tout court ? Avez-vous déjà remarqué à quel point les jeunes entreprises sont pressées d’accroître leurs effectifs quand les grandes entreprises ne rêvent que de plus d’agilité et de flexibilité ? Les fondateurs de Basecamp ont leur propre approche sur la question.

Small is not just a stepping-stone. Small is a great destination in itself - Rework, 2010

Mais que veut dire « rester intentionnellement petit » exactement ? Voici les 4 principes qui traduisent leur philosophie :

1 - « Hire when it hurts »

Chez Basecamp, on ne recrute pas à la légère ! Tout recrutement doit répondre au principe du « hire when it hurts » (en français « recruter quand ça fait mal »), c’est-à-dire lorsque l’on sent que l’on n’est plus en mesure de gérer sa charge de travail ou que la qualité de celui-ci n’est plus aux attentes, et ce, sur une période conséquente. Il faut aussi démontrer que cette charge de travail supplémentaire ne peut pas être solutionnée par un nouvel outil ou une simple optimisation de sa gestion des tâches (par exemple, en apprenant à dire « non » !). Ainsi, les équipes étant autonomes sur les recrutements, chaque personne souhaitant ouvrir un nouveau poste doit convaincre les membres de son équipe de la nécessité de recruter. Si la décision est prise, ils s’occupent de rédiger et partager une annonce ainsi que de faire passer des entretiens.

If you feel overworked for a sustained period or you feel like the quality of your work is sliding. That’s when it’s time to hire. […]. The pain should be persistent, something that cannot be resolved by using a new tool or saying no to extra work - Wailin Wong

Ce principe agit comme un outil d’aide à la décision dans le recrutement et permet de ne pas tomber dans l’écueil de l’embauche de profils « nice to have » dans une période de croissance du chiffre d’affaire, mais dont on doit malheureusement se séparer les premiers en cas de difficultés financières, laissant aussi un goût amer dans la bouche de ceux qui restent…

Ce principe permet également de promouvoir une certaine « écologie » au travail, encourageant chacun à s’écouter pour détecter les signaux faibles d’une charge de travail devenant trop importante sans augmentation d’activité significative, et à se remettre régulièrement en question afin de ne pas dire « oui » à tout.

L’entreprise grandit ainsi à son rythme, avec des recrutements très ciblés, un faible turn over et une petite équipe agile dans le temps.

2 - Repenser la croissance de manière linéaire

Si la croissance exponentielle de certaines startups attire plus facilement les projecteurs, cela n’en fait pas l’unique voie de succès. Chez Basecamp on promeut une croissance « linéaire », c’est-à-dire sans artifices, à l’inverse d’une croissance exponentielle. Et qui dit croissance linéaire dit aussi sans levée de fonds.

Outside money is plan Z - Rework

 

Dans cet esprit, l’équipe n’hésite pas à geler les embauches ou restreindre le nombre de nouveaux clients afin de conserver une taille optimale pour se concentrer sur le développement d’un produit à forte valeur ajoutée pour les clients. Ils communiquent régulièrement sur leur façon de voir les choses dans le blog de l’entreprise : Signal v. Noise.

Linear growth is what happens in domains that aren’t animated by network effects (and when no artificial growth hormones are injected!). It’s the simplicity of good products sold at reasonable prices that find happy customers. These customers talk to friends and colleagues in other businesses, and over time that word of mouth spreads the good vibes, which turns the business up. - David Heinemeier Hansson

3 - Aller à l’essentiel

Rester petit ça n’est pas toujours une partie de plaisir, il faut :

Suivre le principe minimaliste du « launch now » présenté dans Rework : l’essentiel est de livrer un produit qui apporte de la valeur immédiate au client et de penser au reste après. Par exemple, n’ayant que 10 mois pour lancer une nouvelle version de leur produit Basecamp Next en 2012, ils ont délibérément choisi de ne pas garder toutes les fonctionnalités de la version classique. Si certains clients étaient ravis de la nouvelle version, d’autres mécontents de ne pas retrouver leurs fonctionnalités préférées/indispensables pouvaient choisir de rester sur Basecamp Classic. De cette manière, ils ont pu apporter la valeur qu’ils considéraient la plus importante pour leurs utilisateurs, tout en permettant à ceux qui en trouvait ailleurs de ne pas la perdre.

Se poser les bonnes questions et ne pas se laisser embarquer sur des actions inutiles ou à faible valeur ajoutée. Le principe du « Launch now » implique celui de la valeur : si l’objectif est de délivrer de la valeur au client, il faut savoir où celle-ci se situe et à qui elle bénéficie. Ainsi Jason et David insistent sur le fait qu’il faut se demander en permanence :

  • Pourquoi je fais ce que je fais ?
  • Quel problème suis-je entrain de résoudre ?
  • Est-ce utile ?

Ainsi on ne s’écarte de pas de son but premier et on prend des décisions cohérentes avec nos valeurs et les besoins des clients. C’est ce qui les a aidés à prioriser les fameuses fonctionnalités dans le premier développement de Basecamp Next.

Cool wears off. Useful never does - Rework

4 - Apprendre à lâcher prise

Quand on est intentionnellement petit et que l’on n’aspire pas à une croissance exponentielle, il faut apprendre à lâcher prise pour se concentrer sur l’essentiel. Et les équipes de Basecamp sont devenus des pro en la matière, s’agissant de leurs produits, de leurs clients et même de leurs revenus !

Côté produits :

Créé en interne en 2008, Highrise est un outil CRM développé par Basecamp. Lorsque cette activité devient trop importante et que les équipes sentent qu’elles ne pourront pas lui accorder toute l’attention que le développement de cet outil mérite, elles choisissent d’en faire un spin off. En 2014, Highrise devient une entreprise à part entière avec un CEO et une équipe dédiée de 7 personnes. Précisons toutefois que Highrise est depuis 2018 de retour au sein de Basecamp : accepter de laisser partir, c’est parfois accepter de mieux laisser revenir 😉

Côté clients :

Autre devise chez Basecamp : ”Let your customer outgrow you”. Certaines sources de revenus ne sont volontairement pas saisies. L’entreprise laisse volontairement partir certains produits ou même certains clients qui dit petite équipe, dit aussi plus petits clients : pas facile d’opérer un service pour des milliers d’utilisateurs au sein d’une grande structure lorsque l’on est une cinquantaine de collaborateurs. Et si Basecamp a choisi de ne pas grandir de manière exponentielle, ça n’est pas forcément le cas de ses clients. Il faut donc parfois accepter que notre produit ne puisse plus répondre à leurs besoins et ne pas s’acharner à vouloir garder un client qui souhaite découvrir de nouveaux horizons.

Pour aller encore plus loin, les deux fondateurs évoquent régulièrement l’importance pour eux d’accepter « l’impermanence » d’une entreprise, au sens où celle-ci peut ne plus être pertinente, disparaître du jour au lendemain et qu’il est nécessaire de ne pas s’y attacher et de ne pas insister, d’abandonner la notion de contrôle, la volonté d’une hyper-croissance. Cela permet d’avoir une meilleure approche du business et surtout de passer plus de temps à faire ce que nous apprécions dans notre travail.

Côté revenus :

37 Signals était une société de développement logiciel avec plusieurs produits avant de devenir Basecamp. Chaque produit était rentable. Pourtant, l’équipe a préféré se concentrer sur un seul produit afin de respecter sa philosophie. Son objectif n’étant pas de réaliser un profit maximum à court terme, mais de s’épanouir en développant un produit de qualité dans la durée.

We’ve made it 17 years, but maybe we last for a total of 25 years. Maybe 40 years. Obviously, I want to continue to do this as long as we’re relevant and doing good work - but should the day arrive where we are no longer relevant and no longer doing work that people are interested in, then that’s okay too. - David Heinemeier Hansson

Une approche entrepreneuriale basée sur une philosophie minimaliste

En se plongeant dans les livres, conférences, articles ou encore podcasts sur l’organisation de Basecamp, on découvre que cette forme de minimalisme transparaît dans toutes les facettes de l’entreprise : sa communication, le rythme de travail, l’approche produit, etc. Si cette approche ne peut convenir à toutes les entreprises, elle reste une source d’inspiration potentielle pour ceux qui s’interrogeraient sur l’évolution de leur organisation.